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Vie du lycée - Actualités en page publique

Symphonie illustrée pour Big Brother

Par Geraldine DUPUY, publié le vendredi 17 décembre 2021 14:52 - Mis à jour le samedi 18 décembre 2021 16:10
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Oeuvre musicale et plastique inspirée du roman 1984 de George Orwell par Cédric S. et Héléa R., élèves de 2B et 2C.

Suite à la lecture de l’œuvre de George Orwell 1984 en cours de français, Héléa Roussel et moi (Cédric Sonnendrücker) avons eu envie d’interpréter cette lecture de manière créative et artistique. Tout a commencé par un « cercle de lecture » dans ma classe, qui permet d’échanger autour du roman d’Orwell. Pour l’occasion, je décide de composer une musique pour orchestre, dans le but de recréer l'atmosphère et les émotions de la dystopie par le son, un peu dans l'idée d'une musique de film. D'ailleurs, je cite pour principales influences John Williams et Hans Zimmer, avec notamment leurs travaux sur Star Wars, Harry Potter et Dune, que je trouve absolument sublimes, et que je réécoute régulièrement. Pour compléter mon travail mettant en valeur le son du roman, ma camarade Héléa a imaginé l’univers visuel dans lequel le roman nous entraînait. La musique que j’avais composée l’y aidait aussi. Le tout a donné une vidéo, combinant le son et la lumière, et matérialisant ainsi l'expérience de lecture du roman de science-fiction – du moins, nous espérons y être parvenus. Les citations sont issues de la nouvelle traduction de Josée Kamoun. Ensuite, il va de soi que tous les droits sont réservés aux auteurs respectifs de ces travaux artistiques : Héléa et moi-même.

            Pour les personnes qui souhaitent en savoir davantage, je propose plus bas une explication de ma démarche de composition et de certains de nos choix artistiques, après une rapide présentation du roman d'Orwell. La partition en pièce jointe s'adresse aux musiciens d'entre vous, qui souhaitent éventuellement l'analyser encore plus profondément, étant donné que je ne peux rendre compte de toutes nos idées dans cet article déjà assez long.

 

Tous droits réservés – 2021 – Cédric Sonnendrücker, Héléa Roussel

 

 

            1984, une dystopie de science-fiction rédigée par George Orwell en 1949, imagine l'Angleterre sous un régime totalitaire gouverné par Big Brother, qui surveille ses « petits frères » en permanence grâce à des télécrans et à la Mentopolice. Le régime se fonde sur l'idéologie du Sociang, qui considère une simple pensée critique du gouvernement comme crime passible de mort. Grâce à un changement constant de la vérité, à une réécriture du langage appelé le néoparler, à l'éradication du cours de l'histoire des souvenirs à chaque personne ayant commis un Mentocrime, et à une manipulation de ces dernières visant à leur faire aimer le Parti de Big Brother avant leur mort, celui-ci parvient à contrôler la pensée de ses citoyens dans presque tous les cas, et à éviter ainsi toute révolution pour toujours gagner et rester invincible. Il en est de même pour le personnage principal Winston Smith, qui tombe amoureux d’une femme Julia au cours de ses crimes, et se retrouve aimer Big Brother avant de mourir, alors qu'il se révoltait contre lui jusqu'à présent. George Orwell vise à avertir du danger de ces régimes totalitaires, qui pourraient dans un futur proche même contrôler la pensée de ses citoyens, comme il en est dans ce roman.

 

            Concernant les outils pour composer ma musique, j'ai utilisé le logiciel MuseScore, qui permet d'entrer des notes dans une partition blanche, et de rendre ensuite un audio de cette partition. Toutefois, avant de passer à l'ordinateur, je réfléchis à mes thèmes principaux au piano. Aux musiciens amateurs qui sont moins à l'aise avec le solfège et la théorie musicale, et souhaitent avoir une meilleure qualité de son, je conseille le logiciel GarageBand, qui est également gratuit. Le rendu audio de MuseScore est effectivement plutôt médiocre et très mécanique, mais c’est mon logiciel préféré.

 

            Je vais maintenant vous proposer une analyse de cette musique, ainsi qu’une explication des choix artistiques concernant les illustrations de Héléa et le formatage de la vidéo. Mon morceau est donc divisé en quatre parties, visant à suivre dans un ordre logique les péripéties du personnage principal, Winston, afin de pouvoir les revivre musicalement. Sur la partition, à laquelle j’invite les musiciens à se reporter, les épisodes sont séparés par deux traits mesure.

 

La première partie (0:06 à 0:43 dans la vidéo ; mesures 1 à 9 dans la partition) a pour objectif d’introduire l’auditeur au monde sinistre de 1984. Ceci se fait autant par une description musicale de ce monde comme on la trouve dans le tout premier chapitre du roman, que par une présentation de son ascension. Cette dernière a eu lieu durant l’enfance de Winston, environ trente ans avant le récit.

 La musique commence directement par le thème lugubre du Parti de Big Brother, accompagné ensuite de deux notes jouées en alternance, très proches l’une de l’autre, visant à rendre la tension de cet univers. Cependant, tout ceci est, dans un premier temps, orchestré de façon très légère et très lente pour des violons aigus. Nous ne sommes en effet qu’au début de la prise de pouvoir par Big Brother ; pour l’instant, la musique nous donne la seule annonce de son pouvoir, d’un futur sombre et du mystère lié à tout cela. Avec des crescendos, des accélérations et l’entrée de nouveaux instruments, notamment les cuivres (mesure 5, 0:25 dans la vidéo), la musique prend un air plus militaire. L’insécurité, l’instabilité et l’angoisse montent, les conflits débutent. « Les montées de panique régulières lors de raids aériens, le repli dans les stations de métro, les monceaux de gravats un peu partout, les proclamations incompréhensibles placardées à tous les coins de rue, les bandes de jeunes arborant tous des chemises de même couleur, les files d’attente interminables devant les boulangeries, le crépitement intermittent des mitrailleuses au loin, et surtout, la faim au ventre en permanence. »Partie II, chapitre 7 ; Winston Smith décrit ses souvenirs d’enfance de la montée du Parti. L’entrée du chœur (0:30 dans la vidéo ; mesure 6 dans la partition) renforce la dimension dramatique de la musique et marque le début d’une ère dépourvue d’espoir. Il renvoie de même à la disparition de la mère de Winston, qui est enlevée par le Parti ascendant à ce moment. Juste après, une phrase musicale rendue très classiquement militaire par des caisses claires et des triolets (0:33-0:39 ; mesures 7-8) marque l’arrivée de la guerre, les révolutions et le sang. Le chœur poursuit avec toute sa puissance pour témoigner de la tragédie qui a lieu à ce moment. Ensuite, l’alternance de la mélodie entre les cors et les trompettes montre que la guerre se fait entre deux camps. La trompette, l’instrument plus puissant, termine cependant la phrase musicale et est suivie par le gong : elle incorpore le Parti, qui s’est finalement établi avec toute sa puissance, et qui a toujours le dernier mot. Enfin, le gong (mesure 9 ; 0:39) marque en plus un manque d’espoir et la fin d’une ère ; un terme brutal.

L’illustration relative à cette première partie est faite de nuances de gris qui soulignent le désespoir, la froideur et l’insécurité, et qui se rapportent à mon orchestration légère du début. Ma musique plus militaire est mise en images par les bâtiments imposants et massifs du Parti, avec au centre celui de Big Brother, sur lequel la vidéo zoome : « Big Brother te regarde ! » – Partie I, chapitre 1.

Cette première partie de ma musique peut donc être vue comme une initiation, une présentation du monde d’Orwell, et témoigne déjà de la brutalité du Parti de Big Brother. Elle prend beaucoup l’air et l’ambiance de la première partie du roman, que l’on imagine assez grise, ce que Héléa a mis en valeur par son illustration.

 

 

 

 

 

 

Passons à présent à la deuxième partie de ma musique (0:44-1:28 ; mesures 10 à 19), qui représente le rêve de la mort de la mère de Winston (Partie I, chapitre 3). Cette partie caractérise une première phase de l’évolution du protagoniste, qui est sa douleur, liée à tout le mal que Big Brother a commis. Pour cette raison, c’est une partie bel et bien humaine, mettant en valeur des émotions, mais très tragique.

Ce caractère tragique justement, est concrétisé par de gros accords et un tempo lent. De plus, il n’y a pas vraiment de rythmes : seul des harmonies qui se confondent voient le jour. Le choix des synthétiseurs et du chœur reflète une atmosphère liquide, aqueuse, étouffée, du fond des océans, puisque dans son rêve, Winston regarde sa mère couler au fond d'un bateau depuis la surface de la mer. Les sons, plutôt doux et venant du fin fond de l’âme, se brouillent, ils n'y a pas de percussions : on est dans l'eau, dans la tristesse, et au beau milieu d’un rêve. Ensuite, nous avons d’une part, des accords mineurs, aigus et dramatiques, qui soulignent davantage la tristesse et le drame de la situation. Il mettent également en valeur les regrets de Winston envers sa mère, qui se sent partiellement coupable de sa mort. D’autre part, on retrouve des accords majeurs, plus chauds, comme par exemple celui de la mesure 11 (0:48 dans la vidéo), qui témoignent de l'amour de la mère de Winston envers lui, même en ces moments de sa mort. « Le souvenir de sa mère lui déchire le coeur parce qu'elle est morte en l'aimant alors qu'il était trop jeune, trop égoïste pour lui rendre cet amour (…). » – Partie I, chapitre 3. Enfin, la voix soliste et aigüe qui entre en jeu à la mesure 13 (0:55) rend compte de sa solitude, du désespoir. Je dois d’ailleurs mentionner, que j’imite un peu le style de Hans Zimmer à cet endroit, qui combine également les synthétiseurs et les instruments classiques, pour créer une atmosphère à la fois épique et tragique.

Quant aux illustrations de ma camarade, elles rendent ici une image quelque peu différente de la scène, mais qui complète bien ma musique. En effet, sa peinture a un caractère très agité, qui renvoie à ces incertitudes des années de guerre et de l’ascension du Parti. Ces années de l’enfance de Winston, durant lesquelles ce rêve a lieu.

À partir de la mesure 16 (1:10), la musique prend un nouvel air avec l’entrée de nouveaux synthétiseurs et du gong à hauteur déterminée. On peut apercevoir à ce moment le début d’un diminuendo qui se poursuivra jusqu’à la fin de la partie et qui est accompagné d’une mélodie descendante. De plus, la voix soliste s'arrête. Les choix musicaux que je viens d’énoncer traduisent l’extinction de la voix, de la vie de la mère de Winston, ainsi que le fait qu’elle coule dans les profondeurs, et se rapproche du fond des océans. De la même manière, on peut à présent entendre des harmonies plus torturées, plus sombres, plus graves qui se mettent en place. La musique devient plus douce, mais aussi plus dramatique. « Or tout cela, il a l'impression de le voir dans les grands yeux que sa mère et sa soeur lèvent vers lui à travers les eaux verdâtres des profondeurs, dans leur descente inexorable. » – Partie I, chapitre 3. Par la même occasion, l’extinction de la voix et les harmonies dissonantes témoignent de la force du Parti, inhumain, sur l’étouffement de toute émotion, sur le contrôle de la pensée. « Ce qui le frappe tout à coup, c’est que la mort de sa mère, quelque trente ans plus tôt, a un caractère tragique et triste aujourd’hui impossible. » – Partie I, chapitre 3. Et puis le gong qui marque la fin de cette partie du rêve.

On peut ainsi dire que ma musique, bien que tragique, tente également de tenir compte du fait que le Parti vise à étouffer toute tristesse. Cela se ressent notamment vers la fin, surtout avec le gong final, qui remet un terme à cette ère, puisque le Parti a encore pris le dessus. Il commence à déformer Winston et tente de lui faire oublier la douleur, d’éradiquer toute émotion en lui. Il nie en cela l’essence même de l’humain, la richesse et la complexité de la vie intérieure.

Pour revenir au gong, il constitue également la fin de ce rêve de Winston et la transition au suivant, qui est accentuée par la transition en vaguelettes dans la vidéo. Ce nouveau rêve fera l’objet de la partie suivante de ma musique.

 

La troisième partie de ma composition (1:29-2:07 ; mesures 20 à 32) constitue la suite du rêve que Winston fait dans le chapitre 3 de la partie 1 du roman. Il s’agit du premier indice d’une relation future entre Winston et une jeune fille, Julia. Ainsi, à cet endroit, ma musique renvoie à la fois à ce rêve de la partie 1 du roman, et à la relation réelle qui s’étire durant toute la deuxième partie. Cependant, cet amour prend son apogée dans le deuxième chapitre, dans lequel les deux font l’amour dans la nature, comme Winston l’imagine déjà dans son rêve. C’est particulièrement sur cet épisode que porte mon morceau. Concernant l’évolution de Winston, cette partie de ma musique caractérise l’étape pendant laquelle le personnage est le plus dans la rébellion, où il laisse libre cours à ses émotions positives, où il oublie pendant un moment le régime totalitaire de l’Océanie. C’est pour cette raison, que cette troisième partie de ma musique est la seule partie gaie, joyeuse et naturelle, qui s’oppose à l’inhumanité du Parti. C’est aussi la seule partie en mode majeur.

Au début, un piano et des trémolos de violons « décrivent » ce paysage gai et naturel, les plantes, ainsi que l’herbe, paysage que Winston va nommer « la Contrée dorée » – Partie I, chapitre 3. Rapidement, les notes du piano vont s’accélérer (mesures 24 à 27 ; 1:41-1:53) pour mettre en valeur « un clair ruisseau indolent » – Partie I, chapitre 3. L’entrée de la flûte traversière à la mesure 26 (1:47) représente un oiseau chantant que Héléa a mis en œuvre et qui fait également partie de la scène. « Elle (la grive) déploie ses ailes, les replie avec soin ; elle baisse la tête comme pour faire un salut au soleil et se met à chanter à gorge déployée. » – Partie II, chapitre 2. Le staccato de flûte témoigne également de la légèreté du moment, liée aux animaux et à la nature. Les notes qui se font de plus en plus rapides, et l’entrée successive d’instruments sonnant la nature (cordes frottées, piano, flûte) témoignent de l’excitation du couple ainsi que de leur plaisir d’être au milieu de ce paysage naturel, en pleine phase de bonheur. Ce moment trouve son apogée dans la domination plutôt soudaine des cordes frottées (mesure 28 ; 1:53 dans la vidéo), qui se fait grâce à l’entrée des altos et des violoncelles. La vidéo passe alors à une image de Julia : l’excitation du couple ne peut plus être retenue, le plaisir est intense. « Une seconde plus tard, sans qu’on puisse dire lequel des deux en a pris l’initiative, elle est dans ses bras. » – Partie II, chapitre 2.

Il est à noter que jusqu’ici, la musique, autant que les couleurs utilisées par Héléa, sont très gaies, très saturées. La nature est mise en valeur, comme vous l’aurez certainement bien compris maintenant, d’où l’utilisation du piano, des cordes et de la flûte. C’est justement la seule partie de ma composition qui est joyeuse et chaude, ce qui correspond parfaitement à la deuxième partie du roman d’Orwell, qui est également la partie qui comporte les couleurs les plus gaies, avec le vert qui domine. Cette suite de mon morceau est d’ailleurs en contraste avec la précédente. En effet, elles sont toutes les deux humaines, sauf que dans la première, les émotions négatives sont visées, tandis qu’ici, ce sont les émotions positives. Je me suis d’ailleurs inspiré pour cette partie, et notamment pour son apogée avec la domination des cordes frottées, de Harry’s Wondrous World, une musique composée par John Williams pour les films de Harry Potter. Dans ces derniers,  Harry’s Wondrous World caractérise le monde merveilleux et sécure (du moins au début) que Harry apprend à connaître. Similairement, ce moment de 1984 est un moment où le lecteur oublie un peu le monde sinistre de l’Océanie, et se plonge dans les splendeurs de la nature et de l’amour, se trouve dans l’insouciance.

Même si cette partie de ma musique a été la préférée de Héléa, j’ai bien été obligé de la maintenir très brève pour rester fidèle au message de George Orwell. Je n’avais pas le droit d’oublier ce que le Parti m’a fait retenir tout au long de ma lecture : il gagnera toujours, et il tentera de détruire tout moment de plaisir, de gaité, de rassemblement. Il tentera d’abolir la nature. Il tentera de mettre un terme à toute émotion. Il va vouloir transformer Winston. Je fais donc le choix de ne maintenir ce moment de plaisir intense que pendant trois mesures, pour faire place à des accords à nouveau dissonants, à de l’agitation, à de l’angoisse, à de l’incertitude, et à l’entrée d’un chœur plus dramatique que jamais (mesures 31-32 ; 2:02-2:07). Et, ce qui est important, c’est que cette nouvelle tournure se met en place brusquement, alors qu’on était auparavant dans l’insouciance. Cela renvoie à la fin de la deuxième partie de la dystopie, lorsque Winston et Julia sont surpris par le Parti et séparés à jamais. L’espoir est définitivement perdu, tout est perdu… « Winston n’ose pas tourner la tête, ne serait-ce que d’un millimètre, mais à plusieurs reprises son visage livide (de Julia) et suffoquant entre dans son champ visuel. (…) C’est le visage froid et attentif d’un homme qui peut avoir trente-cinq ans. Winston se dit que pour la première fois de sa vie il est en train de regarder en toute connaissance de cause un membre de la Mentopolice. » – Partie II, chapitre 10 ; Winston et Julia sont arrêtés par la Mentopolice du Parti. Cette partie de ma musique, ce moment d’insouciance ont donc été particulièrement brefs. Les illustrations de Héléa, pourtant nombreuses, ont défilé rapidement. Il ne reste qu’un simple souvenir de cette situation de plaisir qui a défilé comme dans un rêve. La dernière illustration, aux traits gris pâle, en témoigne. Or, même ces beaux souvenirs seront bientôt détruits par Big Brother, qui « voit tout, sait tout » : on ne peut lui échapper. L’image est dézoomée et disparaît dans un brouillard métaphorique de l’oubli, pour faire apparaître de plus belle la puissance majestueuse du Parti indestructible. Dans la musique, les trompettes introduisent sa gloire, sur laquelle porte la dernière partie de ma composition.

 

Nous nous retrouvons donc dans la dernière et quatrième partie de ma musique (mesures 33 à 40 ; 2:08-fin dans la vidéo) avec le même thème du Parti de Big Brother que celui qui peut être entendu tout au début du morceau. Il est cependant orchestré de façon très épaisse et très militaire à présent. Le Parti n’est plus un simple avenir incertain, obscur, mystérieux ; il est maintenant la force dominante qui gagnera toujours, qui contrôle la pensée de ses citoyens, qui sait tout, voit tout, persistera pour toujours. Sa tout-puissance est démontrée par cette force militaire des caisses claires et des cuivres, qui paraissent invincibles. Les triolets et la cymbale qui accompagne la marche militaire à coups réguliers témoignent de sa stabilité. Le chœur et les accords dissonants rendent compte de son inhumanité, du manque d’espoir lié à toute cette situation. « Dans notre monde, il n’y aura plus d’émotions, sinon la peur, la rage, le triomphe et l’avilissement de soi. (…) Il n’y aura plus d’épouses ni d’amis. (…) Il n’y aura plus de loyauté, sinon envers le Parti. Plus d’amour, sinon pour Big Brother. Il n’y aura plus de rire, sinon le rire de triomphe devant l’ennemi défait. Il n’y aura plus d’art, de littérature, de science. (…) Tous les plaisirs qui nous feraient concurrence seront éliminés. Mais toujours – ne l’oublie pas, Winston – demeurera l’ivresse du pouvoir qui ne fera que croître et gagner en subtilité. (…) Si tu veux une image du futur, figure-toi une botte qui écrase un visage humain – indéfiniment. » – Partie III, chapitre 3 ; O’Brien, membre du Parti intérieur, est chargé de convertir Winston et lui présente les objectifs et les moyens du régime totalitaire. L’accord mineur parfait à la fin de cette marche militaire, ainsi que le gong, mettent en plus un accent sur le mot indéfiniment. Le Parti a toujours le dernier mot, comme je l’ai déjà assez répété, et l’on ne peut s’y opposer, l’on ne peut se rebeller contre lui. Il faut ajouter que cette courte marche militaire représente également cette haine passionnée et enragée que le Parti encourage tellement, particulièrement avec la Semaine de la Haine. Vous aurez peut-être entendu un peu de Star Wars à cet endroit, puisque je me suis encore inspiré de John Williams, ici de sa Marche impériale qui témoigne de la puissance de Dark Vador, autre figure du pouvoir tyrannique, et de l’Empire galactique.

Nous avons maintenant montré que le Parti est tout-puissant. Ce qui le distingue cependant des nazis, comme le mentionne O’Brien dans un autre chapitre, c’est qu’il ne se contente pas de tuer ses ennemis, il les convertit de son côté avant cela. En effet, Big Brother veut contrôler la pensée de ses « little brothers », idée plus forte de totalitarisme. Même Winston, duquel on ne s’imaginait pas un tel avenir, ne parvient pas même à affirmer sa bonté devant le Parti. Nous, en tant que lecteurs, avons ainsi perdu notre dernier ami de cette histoire sinistre. Cette voix soliste à la fin de ma musique témoigne donc de tout ceci, et une fois de plus, de la solitude, de la perte totale d’espoir face à cet avenir obscur, de la blancheur de la totalité de la troisième partie de la dystopie 1984 de George Orwell. « Mais ce n’est rien, tout est bien, la lutte s’achève. Il a remporté la victoire sur lui-même. Il aime Big Brother. » – Partie III, chapitre 6 ; les dernières phrases du roman. La fin ouverte de ma composition témoigne de l’éternité du désespoir. En même temps, il fallait s’y attendre, même si je ne pouvais y croire jusqu’à la fin : ce roman appartient au genre de la dystopie.

On peut retenir de cette dernière partie de ma musique, qu’elle montre que le Parti a affirmé sa victoire sur Winston qui a été progressivement converti. Le pouvoir de Big Brother sur la pensée et sur la matière est total, et il le restera pour toujours. Cette fin de mon morceau essaie de faire passer l’idée du pessimisme noir de cette fin de roman : le Parti a gagné et gagnera toujours, il est tout-puissant. Les couleurs ici, sont celles qu’on retrouve dans la troisième partie du roman d’Orwell : majoritairement du blanc. C’est aussi la couleur dominante de la dernière illustration de Héléa, qui se brouille progressivement pour faire place au noir.

 

Pour conclure, ma composition musicale passe par quatre stades, qui sont d’après moi, les stades suivis par Winston Smith à travers la dystopie 1984 de George Orwell. Dans un premier temps, le monde sinistre est présenté, mais l’on n’ose pas vraiment le contredire. Les douleurs liées à ce monde sont ensuite exprimées, même si cette humanité est interdite par Big Brother. Vient ensuite une rébellion, un moment de paix, qui est cependant rapidement découvert et détruit par le Parti. Il réaffirme alors toute sa puissance, et transforme ses ennemis pour leur empêcher la pensée critique et toute émotion humaine. Ce travail sur le son et l’harmonie est accompagné par un travail sur les couleurs et l’image. Des effets cinématographiques contribuent également à l’expression de ce message.

 

J’espère donc que notre travail artistique vous aura plu et détendu, même s’il porte sur un scénario plutôt pessimiste. J’aimerais à cet endroit grandement remercier Héléa qui a ajouté de la saveur à ma musique avec des illustrations absolument magnifiques. Mes remerciements vont également à Mesdames Dupuys et Roussel qui m’ont soutenues pour la publication de ce travail. Quant à moi, j’ai pris grand plaisir à le réaliser, déjà pour la simple et bonne raison qu’il ma beaucoup fait progresser dans le domaine de l’orchestration. Je n’avais effectivement jamais composé pour un orchestre entier auparavant. Il m’a également fait progresser dans le domaine de la composition relative à l’image, que j’admire tant chez les grands compositeurs de films comme John Williams. J’invite d’ailleurs grandement les musiciens d’entre vous à étudier ma partition, à l’analyser encore plus profondément que ce que j’ai fait ici, et peut-être même de jouer certaines de ses parties sur votre instrument s’il y figure. Il ne me reste qu’à vous remercier pour le courage que vous avez eu de lire mon écrit tellement long, ainsi qu’à vous souhaiter de bonnes vacances et un joyeux Noël !

 

Cédric Sonnendrücker – le 17 décembre 2021

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