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Vie du lycée - Actualités en page publique

Concours de nouvelles fantastique des 4èmes A et D : les nouvelles gagnantes

Publié le vendredi 22 juin 2018 10:05 - Mis à jour le vendredi 22 juin 2018 10:28
Pauline Strandt
Grand Prix des 4èmes D : "Le Soldat inconnu" de Pauline Strandt ; Photographie @Caroline Martin

« LE SOLDAT INCONNU »

 

Un jour en fin d’après-midi, sous un beau soleil, je me promenais au bord de la mer sur le chemin de la côte sauvage du Croisic avec ma petite femme chérie, Julienne. J’avais mal dormi, je me sentais épuisé par cette longue balade à lutter contre le vent, ayant le sentiment de tirer sans cesse Julienne par le bras pour avancer. Je l’observais du coin de l’oeil, comme elle était belle, avec ses cheveux bruns aux reflets roux en bataille, soulevés par un vent vif. Autour de moi d’énormes vagues se brisaient sur les rochers dans un bruit fracassant. L’écume jaillissait avec force, prête à emporter tout sur son passage. Au loin, le Rocher de l’Ours, ayant la forme de la tête de cet animal, semblait regarder la mer, tout en saluant les passants comme s’il voulait les interpeler. Des nuages sombres et menaçants apparurent à l’horizon. L’environnement devenait hostile au fur et à mesure que la lumière baissait. Il fallait rentrer vite avant la pluie.

 

Cependant il était trop tard, le vent redoublait de force, m’empêchant d’avancer. Julienne lâcha ma main brusquement. Je me mis à trembler comme une feuille, exténué. J’avais le sentiment que la nature se déchainait autour de moi. Le Rocher de l’Ours commença à s’ébranler, noir et puissant, et me poursuivait désormais. Au loin, les vagues avançaient dans un fracas assourdissant. Pris d’une terreur insurmontable, je courais en trébuchant et criais désespérément, la gorge brûlante, le nom de Julienne qui ne me répondait pas. La pluie dégoulinait sur mon visage, du sang se mêlait à la boue collée sur ma joue, mes vêtements accrochaient mon corps couvert de sueur et me faisaient mal. Après être tombé, je me relevai avec peine, assommé, et j’observais avec terreur le désert de l’enfer, creusé d’une multitude de trous d’obus, garni d’arbres calcinés. Les barbelés, coupés et soulevés par les bombardements, formaient par endroit des buissons de ronces sans feuilles. Rien ne bougeait, hormis à intervalles réguliers, l’élévation subite d’un champignon de fumée emporté par le vent. J’avais atterri au fin fond de l’enfer des tranchées et ne savais que penser de l’horreur que je voyais.

 

Tout à coup une pétarade de mitrailles me tira de mes pensées cauchemardesques. Un groupe de soldats m’interpella et m’embarqua dans une mission. Nous devions nous rendre aux premières lignes. Je n’avais pas le choix. Étais-je pris au piège ? Ma confusion fut à son comble lorsque je reconnus mon meilleur ami d’enfance Émile parmi les soldats. Ce fut comme un flash, nous tombâmes dans les bras l’un de l’autre. Autour de nous, des cris d’hommes retentissaient à chaque explosion d’obus, happés par le déferlement du feu. Ces retrouvailles furent de courte durée puisqu’un éclat d’obus atteignit Émile dans le dos et celui-ci mourut subitement dans mes bras. Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi vautrés dans la boue tant je fus choqué, car tous mes sentiments étaient absorbés dans la contemplation de mon ami, cet être mystérieux et fantastique. Un autre soldat me secoua et m’ordonna de poursuivre le combat. Mais j’étais déterminé à emmener le corps d’Émile au poste de secours. Je me déplaçai péniblement dans la boue portant le corps lourd d’Émile sur mon épaule. Je trébuchai sur les autres corps jonchés par terre dont les âmes s’envolaient sous mes yeux. Les balles qui faisaient gicler la terre autour des trous boueux sifflaient de toute part comme des bêtes folles. Dans ce désastre humain, je me faufilais de toutes mes forces vers ce but que je fixais des yeux. Pourtant une balle fatale me perfora le corps, puis une autre et encore une. Ma vie s’échappait dans la boue parmi des multiples plaies. J’allais y laisser ma peau. Saisi d’effroi et de douleur, je tentais de me relever, mais je n’y parvenais pas. Je perdais trop de sang. Étais-je déjà mort ou encore vivant ?

 

Je fus transporté par deux brancardiers qui ramassèrent mon corps et celui de mon meilleur ami Émile. Stupéfaits, ils ne trouvèrent pas ma plaque d’identification car je portais seulement une jolie photo de ma magnifique Julienne sur mon cœur. Ainsi, j’étais devenu le soldat inconnu.

 

Le temps passa, mais j’existais malgré tout toujours dans l’esprit d’un des brancardiers à travers le beau visage de mon épouse. Mon âme errante, je reconnus un jour ma splendide femme qui travaillait à l’hôpital lorsqu’un des brancardiers croisa son regard dans un couloir. A la vue de sa propre photo que le brancardier sortit de sa poche et des explications qu’il lui donna, je vis le teint livide de ma Julienne et son regard éteint comme celui des êtres sur lesquels le sort s’est acharné. Ce regard qui contenait toute la détresse du monde me fit l’effet d’une nouvelle balle dans le cœur. Je suffoquais de douleur.

 

Les caresses de Julienne sur mon front me ramenèrent à la réalité. J’étais allongé sur mon lit, couvert de sueur, ma femme assise sur le bord me regardait d’un air étrange mêlé de tendresse. Ma chambre était dans la pénombre, les rideaux tirés. Malgré cela j’entendais la pluie battante frappant les vitres. Dehors la tempête était à son comble. Un immense soulagement se fit ressentir dans mon corps épuisé. Mon amour était en vie et mon âme aussi. Je me redressai lourdement pour me lever et aller prendre mon petit-déjeuner, saisissant au passage la robe de chambre que Julienne me tendait gentiment. Doucement, je mis les mains dans les poches pour me réchauffer. Quelle ne fut ma surprise en sentant du métal au fond de la poche : Je tins tout à coup la plaque d’identification d’Émile dans ma main. Une larme coula sur ma joue. Je venais de comprendre que mon ami était parti pour de bon.